Corps et nation : frontières, mutations, transferts
Date de tombée: 5 janvier 2014
Dans Homo Sacer, Giorgio
Agamben nous dit qu'avec la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789, le corps – ou ce qu'il nomme la « vie
nue » – entre dans le politique. Par le simple fait de sa
naissance, de son existence physique, le citoyen est inclus dans
l'exercice de la souveraineté politique de l'État-nation1.
Alors qu'Agamben entend cette souveraineté comme une fiction, un tel
rapport entre corps et nation nous amène à interroger la
coïncidence, la complicité ou la tension que peuvent entretenir ces
deux termes, les effets qui en découlent, et particulièrement, dans
le cadre de ce colloque, leurs expressions dans la littérature.
Pour le sociologue David Le
Breton, le corps est une frontière, une rupture, entre l’individu
et la collectivité2.
Cette rupture ne se produit toutefois pas au même degré dans toutes
les communautés. L’apprentissage, souvent inné, de l’usage du
corps diffère selon les sociétés et le développement de
gestuelles, d’inscriptions corporelles collectives (maquillage,
scarification, excision, circoncision, tatouage, etc.) démontrent
l’importance du phénomène d’identification et de reconnaissance
de soi dans la mise sur pied d’une identité collective. Se
présentant également « comme cette surface idéale sur
laquelle sont inscrits les stigmates de diverses expériences
traumatisantes (esclavage, colonisation et crise dans la gestion de
l’héritage colonial)3
» et, par le fait même, comme un lieu d’inscription du pouvoir,
le corps s'envisage ainsi comme un réservoir d’une mémoire
nationale ou comme trace d’une histoire collective.
Dans une perspective littéraire,
le corps du personnage est une entité complexe; même s’il
n’existe qu’à travers le texte, il faut, pour la cohérence du
récit, lui supposer un fonctionnement semblable au corps de chair.
Le personnage, souligne Francis Berthelot, est « un ectoplasme.
Il prétend avoir un corps, mais il n’en a pas4 ».
Il constitue en ce sens un composant majeur de l’identité du
personnage littéraire. Or, le corps est un objet d’étude complexe
qui se trouve à la croisée de plusieurs disciplines et ne peut donc
être simplement réduit à un agencement d’organes et de tissus.
Il est impératif, principalement dans un univers fictif créé pour
produire un effet sur le lecteur, de ne pas sous-estimer son rôle.
Au centre de l’expérience du monde, le corps agit autant en
récepteur qu’en émetteur. Nous pouvons ainsi l'entendre comme
interface de contact avec le monde dans la production d’un rapport
à la collectivité, à la politique, à la nation. Bref, les
événements, les pratiques et les idéologies politiques entourant
l'écriture façonnent et travaillent le corps énonciateur. Cela
situe et détermine la position de cette énonciation dans un rapport
à la construction ou au rejet d'une idée de communauté nationale.
Ce colloque sera l’occasion de
se questionner sur le corps politique et la politique du corps dans
la fiction ou dans le processus d’écriture de la fiction. S'il est
possible de le concevoir comme le premier lieu de parole, on pourra
s'intéresser à la place qu’il occupe dans le texte littéraire, à
sa mémoire culturelle, s'intéresser à la façon dont il fonde,
brise ou remet en cause l'idée de nation. En ce sens, il sera
possible aux participant.e.s de réfléchir aux questions de
l’écriture migrante, des canons nationaux, de la littérature
postcoloniale et même de revisiter cette notion d’appartenance
nationale et de la voix citoyenne qui, à l’ère du
multiculturalisme, revêtent un caractère nécessairement hybride et
transculturel.
Organisé par l'Association
étudiante des cycles supérieurs en études littéraires (AECSEL) de
l'UQAM, ce colloque, qui en est à sa 6e édition, aura
lieu à l’UQAM le jeudi 13 mars 2014. Nous invitons les
étudiant.e.s intéressé.e.s à nous faire parvenir, avant le 5
janvier 2014, une proposition de communication d'environ 250 mots,
accompagnée d'un titre et de leurs coordonnées (nom, université
d'attache, adresse courriel et civique, numéro de téléphone) à
l'adresse électronique suivante : aecsel.uqam@gmail.com.
1
Giorgio Agamben, Homo
sacer. I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris,
Seuil, 1997, pp. 138-139.
3
Isaac Bazié, « Corps perçu et corps figuré », Études
françaises, vol. 41, no 2, 2005, p. 13.
4
Francis Berthelot, Le corps du héros pour une sémiotique de
l'incarnation romanesque, Paris, Nathan, 1997, 192 p.